« poser son temps » expo studio On-Off

Arme d’artiste

Machines à écrire. Fer à repasser. Dentelles, broderie. L’univers de Viviana Méndez est peuplé d’objets d’un autre temps. Des ustensiles, des outils et des techniques qui refusent de disparaître, qui résistent. Sa présence reste, sous le déluge numérique qui couvre tout, qui efface les traces. Sa matérialité s’impose, son temps cristallisé; une capsule de temps qui dure en tant que vestige, en tant que témoin. Témoignage d’un autre monde, d’un monde qui, même s’il est submergé, coexiste avec celui, rapide, de l’instantané, le monde du jetable.
Des récits se construisent, des fables se créent à travers les actions de ces objets et leurs conséquences, parfois extrêmes. Le fer à repasser qui brûle des chemises, c’est le remède qui se fait poison, la vengeance des opprimés. L’appareil symbolique de l’oppression, l’électroménager, auquel sont soumises les femmes dites  «au foyer», devient dispositif de création; un instrument de transformation, arme d’artiste, pinceau, crayon, palette.
Des photographies anciennes, des billets aux bords brodés, des assemblages de jouets jetés; dans la poétique de Viviana, les objets se déplacent, ils entrent en collision, produisent l’étrangeté, et génèrent de nouvelles significations. La moustache de Viviana Méndez, alter ego de l’artiste qui n’apparaît que de manière sous-jacente dans cette exposition, orne son visage comme un avertissement, un rappel: rien n’est à sa place, la nature n’est pas naturelle.

Dado Amaral

 

 

 


La fée du fer à repasser

Le conte du fer à repasser n’est pas pour nous endormir. Au contraire, il a été fait pour nous rendre insomniaques: éveillés, avec des vêtements irréprochables, sans plis. En un silence de mannequin assumant les formes d’une poire, triangle inversé, sablier ou rectangle. Toutes les silhouettes nous protègent. Submergés, dans les usages de soirées, nous restons en silence. Nous choisissons le silence. Et nous sommes fin prêts à commencer par le minimum: eye contact. Le blanc des yeux, si nous le savons encore, sert seulement à écouter. Et nous écoutons la lenteur du fer à repasser sur les chemises blanches. Le son du tissu brûlé, voilà le conte de fées: pure vapeur. Si rapide, la vapeur. Elle passe, repasse le vêtement pour chasser la colère. La colère aussi est vapeur. Elle fait l’expérience de la colère précédente de chacun des présents. Elle laisse la tache sur la chemise pour nous soulager. Nous sommes vêtus. Nous sommes vaincus. Nous sommes marqués. Et là bas, dans le silence de soirée, dans la musique au volume pour danser, nous dansons. Il s’agit d’une danse discrète, immobile. Nous attendons. Nous écoutons le son du fer, nous sentons le vêtement brûler. Nous aspirons la vapeur. Nous ne paniquons pas. Nous sommes tranquilles, anesthésiés. La vapeur nous rend plus joyeux. Le vêtement présente les marques de la nuit. Les plis disparaissent. Les vêtements sont repassés, les âmes. Les âmes sont dans la peau même, elle s’occupent les tissus tellement elles sont blanches. Les personnes debout, élégantes toute la nuit, nous sommes si irréprochables et susceptibles d’éloges. La fée, en nous racontant une histoire, nous place dans des armures. Nous sommes protégés de la soirée. De tels vêtements congédient la faim, la soif physiologique et la volonté de s’émouvoir spontanément. Tout est calcul. Dans le même temps, nous sommes joyeux, nous sommes heureux. La fée ne termine pas son histoire. Son conte dure une nuit. Deux, ou plus de deux. Au milieu de la fumée et d’un paysage blanc, nous sourions, surtout nous sourions.

Eduardo Jorge